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Par Jean Wesley Pierre

En Haïti, le 1er mai est officiellement célébré comme la Fête du Travail et de l’Agriculture. L’État organise parfois des cérémonies fades, quelques discours creux, et des promesses sans lendemain aux paysans que l’on relègue aux marges, sauf lorsqu’il s’agit de voter ou de produire. Mais dans les veines profondes de cette terre noire, dans les chants et tambours des campagnes, cette journée résonne d’un autre écho, plus ancien, plus sacré : c’est la fête des “Kouzen”, esprits vodou du travail et des champs, gardiens du lien entre l’homme haïtien et sa terre.

Kouzen Zaka, qu’on appelle aussi Azaka Médé, n’est pas un simple personnage folklorique. Il est l’âme du paysan haïtien, celui qui a nourri la révolution, porté l’indépendance sur son dos, et qui continue, aujourd’hui encore, de nourrir un pays qui l’abandonne. En vodou, il est la divinité de l’agriculture, du labeur quotidien, du lien direct avec Ginen, la terre ancestrale et sacrée.

Mais que reste-t-il de cette mémoire dans l’imaginaire collectif haïtien ? Trop peu. Car depuis des décennies, un processus brutal et insidieux de déculturation nous pousse à mépriser nos racines, à rire de nos loas, à cacher notre spiritualité comme une honte. L’Occident a dicté que ce qui vient d’Afrique est sauvage, sale, diabolique. Et l’élite haïtienne – aliénée, colonisée dans l’âme – a cru en ses propos orduriers.

En ce 1er mai, il ne suffit pas de “célébrer le travail”. Il faut revendiquer le droit à notre culture, à notre spiritualité, à notre manière d’exister. Le vodou n’est pas un folklore, c’est un système de pensée, un savoir ancestral, une science de l’esprit et du vivant. Les “Kouzen” ne sont pas des caricatures exotiques : ils incarnent la dignité de la paysannerie noire, la noblesse du travail manuel et la connexion sacrée à la terre natale.

Les grandes religions importées ont tout fait pour effacer ces esprits, pour les reléguer au rang de “démons”. Mais ce sont ces mêmes esprits qui ont guidé les esclaves vers la liberté, qui ont inspiré Boukman, Cécile Fatiman, Dessalines et les autres à briser leurs chaînes. Renier les “Kouzen”, c’est renier l’essence même de notre liberté.

Le 1er mai doit redevenir ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : une journée de résistance culturelle et spirituelle, un hommage vivant à ceux qui travaillent la terre avec courage, et aux esprits qui les protègent. Dans chaque peristyle, dans chaque champ, dans chaque cœur encore connecté à Ginen, les tambours doivent parler. Le clairin doit couler, les offrandes doivent s’élever, et la mémoire doit s’embraser.

Car tant que nous continuerons à mépriser nos “Kouzen”, à cacher nos loas, à nier notre vodou, nous resterons un peuple divisé, amnésique, vulnérable. L’avenir d’Haïti passera par une reconquête culturelle, par une revalorisation de tout ce que l’esclavage et la colonisation ont tenté de tuer en nous.

Aujourd’hui, ce n’est pas seulement la fête du travail : c’est le rappel que nous sommes un peuple de Zaka, de terre, de tambour et de liberté. Et cela, personne ne pourra nous l’enlever, sauf si nous l’oublions nous-mêmes.

Catégories : Culture

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