Par Jean Wesley Pierre
Dans un contexte national marqué par la montée vertigineuse de la violence armée, la Police Nationale d’Haïti (PNH) a multiplié les offensives ces derniers jours, frappant avec détermination dans plusieurs zones sensibles. À Kenscoff, plus d’une vingtaine de présumés bandits ont été neutralisés, dont plusieurs proches collaborateurs du redouté chef de gang « Krisla », opérant depuis « Tibwa » a annoncé la police nationale haïtienne (PNH) sur ses réseaux sociaux. À Tabarre, dans le quartier de Clercine, d’autres éléments dangereux ont été abattus, notamment « Lougans », numéro deux du gang tristement célèbre « Chyen mechan ».
Ces interventions menées par le Corps de Brigade d’Intervention Motorisée (CBIM) et l’UDMO/Ouest-2 témoignent d’un réveil sécuritaire, mais elles posent aussi une question fondamentale : les opérations de police, aussi musclées soient-elles, peuvent-elles suffire à démanteler un écosystème criminel qui s’est enraciné dans la faiblesse de l’État et la misère sociale ?
Ces dernières actions de la PNH sont à saluer. Elles démontrent qu’il existe encore au sein de la police nationale des unités capables d’agir avec efficacité et précision, malgré le manque criant de moyens logistiques, de formation continue et de coordination stratégique. La neutralisation de figures clés comme « Lougans » ou des membres de l’équipe rapprochée de « Krisla » représente une avancée significative. Mais soyons lucides : il ne s’agit pas encore de victoire, mais de résistance.
Les structures de gangs comme « Tibwa » ou « Chyen mechan » fonctionnent comme des mini-États : ils lèvent leur propre “impôt”, imposent leurs lois, et exploitent les populations locales à travers le racket, les enlèvements, les exécutions sommaires et les violences sexuelles. Pour éradiquer ces réseaux, il faut plus que des fusils : il faut casser le système qui les nourrit.
Ces gangs n’ont pas émergé du vide. Ils sont les fruits pourris d’une longue chaîne d’échecs politiques, de corruption institutionnelle et d’abandon social. À Kenscoff comme à Tabarre, la pauvreté est un terreau fertile pour le recrutement des jeunes désœuvrés, livrés à eux-mêmes dans des zones dépourvues d’écoles, de centres de santé, de tribunaux ou même d’éclairage public. Dans ce vide, le gang s’impose comme la seule autorité, la seule économie, la seule protection.
L’approche sécuritaire ne peut donc pas être isolée. Elle doit s’accompagner d’une vision politique claire : réinvestir les territoires perdus, renforcer la justice de proximité, offrir des alternatives crédibles aux jeunes à travers l’éducation, l’emploi et la culture citoyenne.
Le combat anti-gang n’est pas qu’une affaire de policiers. C’est aussi un combat de société. Être anti-gang, c’est militer pour un État fort mais juste, pour une démocratie qui protège au lieu d’opprimer, pour une jeunesse qui rêve d’autre chose que d’un fusil ou d’une moto. C’est refuser que des criminels deviennent les nouveaux modèles, et exiger que ceux qui leur fournissent armes, argent ou protection politique soient également identifiés et jugés.
Le temps est venu pour la société civile, les leaders communautaires, les universitaires, les journalistes et les militants progressistes de construire une alliance nationale contre la gangstérisation de notre pays. Une alliance qui dépasse les clivages et place la sécurité humaine, la dignité et la justice sociale au cœur du projet collectif.
La neutralisation de plusieurs criminels notoires à Kenscoff et à Clercine est un signal encourageant. Mais ce n’est qu’une pièce du puzzle. Sans un engagement fort de l’État et de ses partenaires internationaux à démanteler les filières logistiques, financières et politiques des gangs, les têtes tombées seront rapidement remplacées.
Il faut passer de la réaction à la reconstruction, de l’opération à la transformation. Et cela ne pourra se faire sans volonté politique, sans courage citoyen, et sans mémoire des souffrances infligées à tant d’Haïtiens.
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