Par Jean Wesley Pierre
C’est une scène désormais familière pour des millions de fidèles à travers le monde : cinq jours avant l’ouverture du conclave, la célèbre cheminée a été installée sur le toit de la chapelle Sixtine. Symbole solennel et énigmatique, elle s’apprête à jouer son rôle : cracher la fumée blanche qui annoncera, peut-être dès mercredi soir, l’élection d’un nouveau pape.
À partir de mercredi, 115 cardinaux se réuniront dans le secret le plus absolu. Un vote sera tenu dans l’après-midi, puis deux chaque matin et deux chaque après-midi à partir de jeudi. Pour être élu, le futur chef de l’Église catholique devra réunir au moins deux tiers des voix, soit 89 suffrages. Une procédure immuable, inchangée depuis des siècles.
Une tradition sacrée, mais figée ?
Pour le professeur Andrea Belluci, historien des religions à l’université de Bologne, le conclave « est l’un des derniers rituels politiques de nature spirituelle encore vivants. Il lie sacré et stratégie, prière et diplomatie. Mais il faut reconnaître qu’il reflète aussi l’inertie d’une institution peu encline à se réformer. »
Une vision que partage, à demi-mot, Luc Morel, catholique pratiquant et engagé dans des cercles de réflexion théologique à Paris. « J’attends ce conclave avec espoir, mais aussi lucidité. La communauté chrétienne a besoin d’un pape à l’écoute du monde réel : des jeunes, des femmes, des pauvres, des personnes LGBTQ+. Dieu n’est pas statique. Pourquoi notre Église le serait-elle ? »
L’appel à la rupture des anticonformistes
Du côté des voix dissidentes, le ton est plus tranchant. Pour Awa Kassi, militante africaine décoloniale et anticléricale, ce conclave n’est qu’une « mascarade élitiste déguisée en spiritualité. Aucun peuple ne choisit ce pape. C’est une aristocratie vaticane hors-sol, éloignée des peuples du Sud qu’elle prétend guider spirituellement. » Elle dénonce notamment le rôle de l’Église dans la perpétuation de systèmes patriarcaux et postcoloniaux, « sous couvert de charité ».
Un moment décisif
Au cœur de cette tension entre tradition et renouveau, c’est bien l’avenir spirituel d’1,3 milliard de catholiques qui se joue. Le prochain pape devra affronter des défis immenses : crise des vocations, abus sexuels, déracinement spirituel de l’Occident, montée des nationalismes et dialogue interreligieux sous tension.
La fumée blanche qui sortira de la cheminée de la chapelle Sixtine ne dira pas tout. Mais elle signalera, peut-être, un tournant. Reste à savoir s’il sera conservateur, prudent… ou prophétique.
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