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Par Jean Wesley Pierre

17 avril 1825 – 17 avril 2025 : 200 ans de honte. Deux siècles que la France, patrie autoproclamée des droits de l’homme, a extorqué à Haïti, la jeune république à l’époque, première république noire indépendante, une rançon pour avoir osé briser ses chaînes, pour avoir défendu les valeurs d’un nouveau monde, fondé sur l’égalité. Cette dette inique, fondée sur la logique coloniale de la supériorité raciale, continue d’hypothéquer l’avenir du peuple haïtien. L’heure n’est plus à la reconnaissance morale. Il est temps d’exiger réparation.

En 1825, à peine deux décennies après son indépendance conquise dans le sang, grâceaux valeureux guerriers, grâce aux héros de la nation, Haïti fut sommée de payer. Sous la menace de 12 navires de guerre français ancrés dans ses eaux territoriales, le roi Charles X exigea de la jeune nation le versement de 150 millions de francs-or – soit environ 30 milliards (selon l’estimation de certains économistes) de dollars actuels – en échange de la reconnaissance de son indépendance.

Ce montant, astronomique, visait à indemniser les anciens colons français pour la “perte” de leurs plantations… et de leurs esclaves. Il ne s’agissait pas de dédommager une destruction matérielle, mais bien de compenser la “privation” de main-d’œuvre servile. C’est là l’aberration fondatrice de cette dette : faire payer à des anciens esclaves le prix de leur liberté.

Réduite à 90 millions de francs en 1838, cette dette fut contractée au prix d’emprunts usuraires auprès de banques françaises, accentuant l’assujettissement économique d’Haïti. Pendant plus d’un siècle, une grande partie des recettes publiques du pays servit à rembourser cette rançon coloniale.

Des écoles non construites, des routes jamais pavées, des hôpitaux jamais ouverts… voilà le coût réel de cette dette.

Dans ce long combat pour la dignité, rares sont les dirigeants haïtiens qui se sont hissés à la hauteur de l’histoire. Et certains, au contraire, ont incarné le renoncement, la soumission, voire la trahison. Gérard Latortue, nommé Premier ministre après le renversement du président Jean-Bertrand Aristide en 2004, est l’un de ces personnages qui, volontairement ou non, ont renforcé l’oppression néocoloniale.

Alors que le président Aristide venait de relancer, avec force et conviction, la revendication de restitution de cette dette historique, Latortue s’est empressé de s’en dissocier. À Paris, aux côtés du président français Jacques Chirac, il déclara que « légalement, il n’y avait aucune base à cette demande ». En un seul geste, il a effacé deux siècles de souffrances, de luttes, de privations. Il a nié le droit élémentaire d’un peuple à demander justice.

Pire encore, il a proposé que la France accorde à Haïti une “ligne de crédit pour des projets d’infrastructures”, une manière servile de transformer une injustice historique en un prêt déguisé. Quelle ironie tragique : demander un crédit à celui qui vous a spolié ! Latortue, par ses propos, a incarné cette figure du dirigeant colonisé, sous-hommes, sans dignité, convaincu qu’il faut demander la permission pour exister, persuadé que la France est encore une tutrice à flatter.

On peut, sans tomber dans l’invective, qualifier cette posture de mentalité de “sous-homme”. Non pas au sens biologique, bien sûr, mais dans cette disposition mentale qui intériorise l’infériorité, qui préfère la reconnaissance d’un maître à l’autonomie d’un peuple. C’est cette même posture qui a nourri des décennies de dépendance, d’errance politique, et de silence diplomatique.

À l’opposé de Latortue, Jean-Bertrand Aristide demeure l’un des rares dirigeants haïtiens à avoir pris la pleine mesure de l’enjeu historique. En 2003, il a officiellement réclamé à la France plus de 21 milliards de dollars en restitution, en tenant compte de l’inflation et des intérêts cumulés. En 2001 déjà, à Durban, il plaçait la question de la dette de l’indépendance au cœur du débat international sur les réparations post-esclavage.

Cette audace lui coûta cher. Moins de deux ans plus tard, il était renversé dans des conditions opaques, dans ce que plusieurs analystes et observateurs ont qualifié de “coup d’État par procuration”, appuyé par certaines puissances occidentales, dont la France. Ce n’est pas un hasard. L’histoire a montré que les voix qui réclament justice au nom des peuples dominés dérangent les structures de domination.

Depuis vingt ans, les présidents français se succèdent, maniant la reconnaissance symbolique et les gestes de diversion. En 2015, François Hollande a évoqué une “dette morale” envers Haïti, mais sans le moindre engagement financier. En avril 2025, Emmanuel Macron a annoncé la création d’une commission franco-haïtienne chargée d’examiner le passé commun. Encore une commission. Encore du temps gagné. Encore des mots.

La vérité est simple : la France sait ce qu’elle doit. Elle a les archives. Elle a les chiffres. Elle a les preuves. Ce qui manque, ce n’est pas l’information. Ce qui manque, c’est la volonté. Parce qu’admettre que l’on doit restituer, c’est aussi ouvrir la boîte de Pandore des réparations pour l’ensemble du monde anciennement colonisé. C’est dire à l’Afrique, aux Antilles, à l’Asie : “Oui, nous vous avons volés, et oui, nous vous devons quelque chose.”

La France craint ce précédent. Elle veut conserver l’image d’une puissance éclairée, tout en refusant de solder son passé colonial. Cette hypocrisie est intenable.

Face au silence complice de certains dirigeants et à l’indifférence des puissances, la société civile haïtienne et le monde universitaire se mobilisent. L’Université d’État d’Haïti (UEH) a mis en place en 2024 un groupe de travail sur la restitution de la dette. Composé de chercheurs, d’économistes, de psychologues et de spécialistes en relations internationales, ce groupe œuvre à construire un argumentaire solide, chiffré, rigoureux.

L’objectif est clair : démontrer, preuves à l’appui, que cette dette a non seulement appauvri Haïti, mais aussi freiné durablement son développement. Ce n’est pas une simple question symbolique. C’est une question de justice économique, de dignité nationale, de réparation matérielle.

L’Université de la Fondation Dr Aristide (UNIFA) a également pris position, et des voix s’élèvent de plus en plus dans la diaspora pour exiger un règlement clair de cette injustice bicentenaire.

L’année 2025, bicentenaire de l’ordonnance de Charles X, ne peut pas être une simple commémoration. Elle doit marquer un tournant. Le Comité National Haïtien sur la Restitution et la Réparation (CNHRR) a proposé de faire de cette année « l’Année de la restitution française à Haïti ». C’est une initiative louable, salutaire.

Le gouvernement haïtien de transition, désormais dirigé par le Conseiller présidentiel, Fritz Alphonse Jean, a réitéré la demande de restitution. Ce geste, s’il est suivi de démarches concrètes — notes diplomatiques, pressions internationales, alliances avec la CARICOM —, peut porter ses fruits.

Car Haïti n’est pas seule. Des organisations comme la Commission des réparations de la CARICOM, le Bureau des Avocats Internationaux, l’ONU, des ONG, des juristes du monde entier, reconnaissent aujourd’hui l’impératif de réparation pour les crimes coloniaux. Il est temps que la France entende cette voix collective.

Il faut le répéter : Haïti ne tend pas la main pour mendier. Elle tend la main pour réclamer ce qui lui est dû. Restituer cette dette, c’est rendre à un peuple ce qu’on lui a volé. C’est permettre à Haïti d’investir dans son système éducatif, dans ses infrastructures, dans sa santé, dans ses jeunes. C’est reconnaître que l’esclavage, la colonisation, et l’extorsion post-indépendance ne sont pas de simples anecdotes historiques, mais des crimes ayant des conséquences encore palpables aujourd’hui.

C’est pourquoi la restitution ne doit pas prendre la forme d’une “aide au développement”, comme le suggérait Gérard Latortue. Ce serait reconduire le schéma colonial. Ce que demande Haïti, c’est un transfert de fonds fondé sur le droit, pas sur la charité.

Les peuples se souviennent. Et les peuples jugent. Le nom de Gérard Latortue restera, hélas, associé à cette honteuse reddition diplomatique. Celui de Jean-Bertrand Aristide, et d’autres hommes et femmes, à une tentative courageuse de redonner à Haïti sa voix et sa fierté. En 2025, la France a le choix : continuer à nier, ou enfin réparer.

Haïti n’a pas besoin d’aumône. Elle réclame la restitution de ce qui lui appartient. Elle exige justice. Et elle ne se taira plus.

VIV AYITI, VIV LIBÈTE !!

Catégories : Politique

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