Par Jean Wesley Pierre
Jeudi 8 mai 2025, l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) s’apprête à transmettre à la justice sept rapports explosifs. En ligne de mire : des pratiques présumées de détournement de fonds, de passation illégale de marchés publics et d’abus de pouvoir au sein de trois institutions clés de l’État : la Direction de l’Immigration et de l’Émigration (DIE), l’Office d’Assurance Accidents du Travail, Maladie et Maternité (OFATMA), et l’Office de la Protection du Citoyen (OPC). Trois piliers censés garantir le respect des droits, la sécurité sociale et le contrôle des flux humains dans le pays.
Selon nos sources, les conclusions sont accablantes : un ancien directeur de la DIE, un ancien Directeur Général de l’OFATMA, et un ancien Protecteur du citoyen sont directement mis en cause. Leurs noms n’ont pas encore été rendus publics, mais l’ULCC, dans une posture rare de fermeté, exige que l’action publique soit déclenchée. En d’autres termes : elle appelle les autorités judiciaires à sortir de leur léthargie pour traduire en justice ces hauts fonctionnaires soupçonnés de s’être servis de l’État comme d’un guichet personnel.
Ce nouveau dossier n’est ni exceptionnel, ni isolé. Il est l’illustration douloureuse d’un système où la corruption n’est pas un accident, mais une modalité de gouvernance. L’OFATMA, censé assurer la sécurité sociale des plus vulnérables, a été vidé de sa substance par des élites administratives qui ont fait main basse sur des marchés publics au mépris des lois. L’OPC, institution censée défendre les droits humains, se trouve elle-même éclaboussée par des pratiques contraires à l’éthique et à la loi. Quant à la DIE, ses failles structurelles rendent possible toutes les dérives, de la falsification de documents à la monétisation des services publics.
Le problème n’est pas seulement moral. Il est profondément économique et sécuritaire. Chaque gourde détournée dans un pays où 60% de la population vit sous le seuil de pauvreté est une violence économique. Chaque marché attribué illégalement affaiblit les entreprises honnêtes et renforce les réseaux mafieux. Chaque fonctionnaire corrompu est un chaînon de l’effondrement institutionnel qui mine l’État haïtien.
L’ULCC, dans ce contexte, agit comme une vigie solitaire. Sous-équipée, souvent ignorée, voire sabotée de l’intérieur, elle persiste à produire des enquêtes solides, documentées, courageuses. Mais que valent ces rapports si le Parquet reste silencieux ? Si les juges sont achetés ou tétanisés ? Si l’impunité reste la règle pour les puissants ?
C’est ici que le combat anticorruption se heurte à ses plus grands ennemis : la collusion, la peur et l’indifférence. L’ULCC ne peut pas tout faire. Elle peut dénoncer, recommander, exiger. Mais sans une volonté politique réelle, sans un appareil judiciaire intègre, ses efforts s’apparentent à des cris dans le désert.
Le cas présent doit être un test. Si la justice haïtienne laisse passer ces dossiers, elle enverra un signal clair : le pillage de l’État peut se poursuivre sans conséquence. Mais si elle agit rapidement, efficacement, sans marchandage, elle marquera un tournant. L’État peut-il encore se régénérer ? Peut-il reconquérir une légitimité ? Ou est-il déjà trop tard ?
Ce jeudi 8 mai est peut-être une date banale sur le calendrier. Mais elle pourrait devenir un jalon de l’histoire haïtienne si, pour une fois, les coupables sont traités comme tels.
La question n’est pas seulement juridique. Elle est existentielle.
Lawouze Info
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