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Par Jean Wesley Pierre

Le lancement du Centre de commandement des communications (C3i) ce 28 mai 2025, salué comme un « jalon majeur » par les chancelleries occidentales et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), s’inscrit dans une longue tradition d’initiatives sécuritaires qui, bien qu’emballées dans un langage technocratique et technophile, participent davantage à la mise sous tutelle d’Haïti qu’à sa réelle libération des griffes du chaos.

Qu’est-ce que le C3i, sinon un outil de plus pour renforcer une structure policière dont l’efficacité est constamment sapée par l’absence de souveraineté politique, le sous-financement chronique, et l’infiltration par des intérêts étrangers ou criminels ? Un « centre de commandement » financé par les États-Unis, le Canada, et logé dans une architecture multilatérale creuse (le Basket Fund du PNUD), est-il vraiment un gage de souveraineté ou une façade technologique servant à légitimer une occupation diplomatique rampante ?

« Technologie de pointe », « coordination améliorée », « opérations de sécurité renforcées »… les mots choisis dans le communiqué officiel évoquent les brochures d’un salon de l’innovation sécuritaire, pas la réalité d’un pays déchiré par des décennies d’ingérences, d’expérimentations étrangères ratées et d’absence de leadership authentique. Le vernis technologique ne masque pas l’essentiel : cette initiative, comme tant d’autres, ne vient pas du peuple haïtien, ne répond pas à ses revendications profondes de justice sociale, d’émancipation économique, ni de refondation politique.

Le C3i est une plateforme logistique et de surveillance. Très bien. Mais la question est : qui contrôle cette plateforme ? Qui centralise les données ? Quelle souveraineté possède la PNH dans son usage ? Le silence à ce sujet est assourdissant. Quand la sécurité devient un produit d’importation, la sécurité cesse d’être un droit : elle devient un privilège conditionné par la géopolitique.

Les États-Unis et le Canada, qui s’affichent comme les parrains de cette nouvelle étape sécuritaire, sont aussi ceux qui ont activement contribué au sabotage de toute tentative haïtienne de réformer réellement son système de sécurité sur des bases souveraines. Ce sont eux qui, en 2004, ont participé à l’éviction violente du président élu Jean-Bertrand Aristide, et qui, depuis, soutiennent un système politique gangrené, incapable de générer une vision nationale indépendante.

Quant au PNUD, dont la mission originelle est le développement durable, son implication croissante dans la gestion sécuritaire d’Haïti révèle un glissement inquiétant de mandat : on assiste à une ONU qui, loin d’accompagner les peuples, devient le bras technique d’un ordre sécuritaire mondial de plus en plus autoritaire et intrusif.

On justifie l’installation du C3i par la nécessité de « lutter contre les gangs terroristes ». Or, ceux qui vivent à Port-au-Prince savent que la réalité est plus complexe. Les gangs ne prospèrent pas dans un vide, mais dans un écosystème politique, économique et parfois même diplomatique. Ils sont, dans bien des cas, des instruments de pouvoir utilisés par des élites pour contrôler des territoires, intimider la population, ou empêcher toute dynamique populaire autonome.

En ce sens, le C3i ne viendra pas démanteler le système, il viendra le rationaliser, le rendre plus prévisible, plus mesurable, plus « gérable » selon les standards des chancelleries étrangères. Il s’agit moins d’éradiquer le mal que de le rendre compatible avec la poursuite des intérêts étrangers dans la région.

La sécurité d’Haïti ne viendra pas d’une nouvelle application logicielle, d’un nouveau centre de surveillance, ni même d’une « mission multinationale d’appui » dont les contours restent flous et dont la légitimité populaire est inexistante. Elle viendra d’un sursaut souverainiste, d’une reconquête politique du pays par ses propres forces patriotiques, d’un mouvement de reconstruction nationale porté par les masses populaires, les paysans, les ouvriers, les jeunes et les intellectuels organiques.

Ce C3i, présenté comme un outil moderne de pacification, n’est en réalité qu’un cache-sexe de plus pour une politique d’occupation déguisée, qui prive le peuple haïtien de sa capacité à définir lui-même les termes de sa sécurité, de sa gouvernance et de son avenir.

Haïti ne manque pas de technologie. Elle manque de liberté.

Catégories : Opinion

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