Port-au-Prince, le 17 juin 2025 — Trois ans après l’assassinat du président Jovenel Moïse, Haïti s’enlise toujours dans un chaos politico-humanitaire sans précédent. La relance de l’enquête sur la mort du Président, annoncée en grande pompe par les autorités de transition, ressemble à une énième tentative de diversion dans un pays où l’impunité est devenue règle. À ce jour, aucun des vingt suspects identifiés n’a été jugé. Pire encore, l’appareil judiciaire haïtien reste paralysé par l’intimidation, la corruption et l’absence totale de volonté politique.
L’enquête sur l’assassinat de Jovenel Moïse est le signe emblématique d’un système judiciaire qui ne fonctionne que par intermittence et sous pression. Entre menace contre les magistrats, disparitions de témoins et ingérences politiques; l’impunité règne. La justice n’est pas en marche : elle est prise en otage. Et pendant que la communauté internationale ferme les yeux ou publie de tièdes communiqués, la vérité, elle, s’efface.
La récente nomination d’Alix Didier Fils-Aimé comme Premier ministre par le Conseil présidentiel de transition succédant à Garry Conille semble n’avoir d’autre but que de donner l’illusion d’une gouvernance en marche. Mais de quel pouvoir parle-t-on, quand ces dirigeants ne détiennent ni l’autorité territoriale ni la confiance populaire ? Ce Conseil est perçu par beaucoup comme une structure imposée, plus soucieuse de la gestion du statu quo que d’une réelle refondation du pays.
Le massacre du 15 juin à Kenscoff, où plusieurs individus qualifiés de « terroristes » ont été tués par les forces de l’ordre, illustre l’ampleur de la militarisation rampante de la réponse sécuritaire. Dans un État qui n’en est plus un, les notions de justice ou de procès équitable semblent reléguées aux marges. Ces opérations de sécurité, souvent menées sans cadre légal clair, relèvent davantage d’une politique de représailles que d’une stratégie de pacification.
Avec plus de 1,3 million de déplacés internes et une insécurité alimentaire aiguë touchant des millions de personnes, Haïti est aujourd’hui une urgence humanitaire de premier plan. Pourtant, la réponse reste dérisoire. Les services de santé, d’eau potable et d’éducation sont au bord de l’effondrement. Les ONG, dépassées, suppléent tant bien que mal un État absent, pendant que la solidarité internationale baisse le rideau.
La promesse d’élections « libres » en 2026 semble totalement déconnectée de la réalité actuelle. Quel sens a un scrutin dans un pays où l’intégrité territoriale est compromise, où les gangs contrôlent des portions entières du territoire, et où la majorité de la population n’a pas accès à un document d’identité fonctionnel ? Préparer des élections dans ces conditions revient à colmater un barrage fissuré avec du papier mâché.
Il est temps de poser la question qui dérange : qui a réellement intérêt à ce que rien ne change en Haïti ? L’élite économique ? Les classes politiques corrompues ? Une communauté internationale fatiguée et complice ? Les militants sur le terrain, les syndicats, les mouvements paysans, les jeunes des quartiers populaires, eux, n’ont pas cessé de réclamer justice, réforme agraire, redistribution, dignité.
Ce pays n’est pas condamné au chaos, mais il ne pourra pas se reconstruire sans rupture radicale avec l’ordre établi. Ce que réclament les Haïtiens, ce n’est pas seulement un retour à l’ordre : c’est un nouveau contrat social, fondé sur la justice, la souveraineté, et la dignité humaine.
Lawouze Info
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