Par Jean Wesley Pierre
Ce lundi 7 juillet 2025, une messe de requiem sera chantée au Palais national pour commémorer les quatre ans de l’assassinat du président Jovenel Moïse, survenu dans sa résidence à Pèlerin 5, dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021. Quatre années de douleur, de silences officiels, de théâtre judiciaire, mais surtout d’un insupportable échec de justice. Alors que la famille du défunt affirme avoir identifié les commanditaires intellectuels, l’État haïtien, englué dans des procédures interminables, n’a toujours pas su livrer la vérité au peuple. Une nation entière attend des réponses.
Un crime d’État, une énigme nationale
L’assassinat du président en exercice dans sa résidence privée, sans qu’aucun membre de sa sécurité rapprochée ne soit blessé, est un fait sans précédent dans l’histoire contemporaine des démocraties. Ni Haïti ni aucun autre pays des Amériques n’avait jamais vécu une telle béance de l’État, en plein XXIe siècle.
Pourtant, depuis 2021, malgré plus de 40 arrestations, des extraditions, et l’implication parallèle de la justice américaine et haïtienne, le peuple demeure dans l’ombre. Aucune condamnation définitive. Aucun procès public en Haïti. Et surtout, aucune explication officielle crédible sur le rôle des forces de sécurité nationales et des acteurs économiques ou politiques présumés complices.
« Ce n’est plus seulement une affaire judiciaire, c’est un enjeu de souveraineté », affirme le professeur en droit constitutionnel Ronald Saint-Hubert.
« Lorsqu’un président est tué sans qu’on sache pourquoi, ni par qui exactement, cela signifie que le contrat social est rompu. »
Le déni de justice, une blessure collective
Depuis 2021, plusieurs juges d’instruction se sont succédé sur le dossier en Haïti : certains ont démissionné, d’autres ont été menacés ou disqualifiés, et l’ordonnance finale – bien que rendue en janvier 2024 – n’a pas permis de clore l’affaire. Aujourd’hui encore, la Cour d’appel de Port-au-Prince mène sa propre enquête, tandis qu’aux États-Unis, certains accusés comparaissent pour association criminelle ou implication dans le complot ayant abouti à l’assassinat.
Mais cette dichotomie judiciaire crée un paradoxe inédit : deux pays instruisent le même crime d’État, sans coordination réelle, sans verdict commun. Une anomalie démocratique.
Dans une déclaration poignante, Martine Moïse, veuve du président, dénonce ce qu’elle appelle une “comédie de justice” :
« L’assassinat de Jovenel Moïse n’est pas un simple fait divers, c’est un séisme politique. Et pourtant, les murs de l’impunité sont plus solides que jamais. »
Une justice sélective dans un État en décomposition
Ce dossier révèle les failles profondes d’un système judiciaire sous-financé, politisé, et souvent instrumentalisé. La dépendance de la justice haïtienne vis-à-vis du pouvoir exécutif et des intérêts internationaux pose problème. Trop de juges refusent ou fuient les dossiers sensibles. Trop d’affaires meurent dans le silence.
Selon un rapport de l’Office de Protection du Citoyen (OPC) en 2024, plus de 70 % des crimes majeurs en Haïti depuis 2015 n’ont jamais été jugés. Parmi eux : les massacres de La Saline, de Bel-Air, de Delmas 32, l’assassinat du bâtonnier Dorval, et bien sûr, celui du chef de l’État.
« Il y a une justice pour les pauvres et une autre pour les puissants », souligne la juriste et militante Emmanuela Lorméus.
« Tant que le crime paiera politiquement et économiquement, le pays restera prisonnier de l’impunité. »
Que peut-on faire ? Vers une reconstruction éthique de l’État
Face à cette faillite judiciaire, des solutions existent, mais exigent volonté politique, mobilisation citoyenne et accompagnement structurel :
Indépendance effective du pouvoir judiciaire, avec des garanties constitutionnelles renforcées pour protéger les juges contre les pressions.
Création d’un Tribunal Spécial sur les crimes politiques récents, sous supervision nationale mais avec un appui technique international.
Mise en œuvre d’une Commission Vérité et Réconciliation, pour enquêter sur les crimes d’État, les commanditaires politiques et économiques, et restaurer la mémoire nationale.
Mobilisation citoyenne pour la transparence, en exigeant un procès public, des audiences médiatisées, et un suivi régulier du dossier Moïse.
Un assassinat, un peuple, une justice encore en fuite
L’assassinat du président Moïse n’a pas seulement tué un homme. Il a tué une part de confiance dans l’État. Une part de foi dans la démocratie. Et pourtant, quatre ans plus tard, la page reste ouverte, inachevée, suintante de non-dits.
Chaque 7 juillet, cette plaie béante nous rappelle que la justice n’est pas un luxe, mais une condition de survie pour une société digne.
« Ce que nous demandons, ce n’est pas la vengeance, mais la vérité », répète le fils aîné du défunt président, Joverlein Moïse.
« Et cette vérité appartient à tout un peuple, pas seulement à une famille. »
Haïti ne pourra jamais reconstruire son avenir tant que la vérité sur ce crime d’État ne sera pas dite, jugée, assumée. L’heure n’est plus aux silences politiques, ni aux lenteurs administratives. Elle est à la justice, la vraie. Celle qui répare, qui soigne et qui libère.
Le peuple haïtien, digne et meurtri, n’attend rien de moins.
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