Par Jean Wesley Pierre
Ce 12 août 2025, Journée internationale de la jeunesse, le président du Conseil Présidentiel de Transition (CPT), Laurent Saint-Cyr, a livré un message vibrant en hommage à la jeunesse haïtienne.
Des mots forts, porteurs d’espoir : « bâtisseurs », « innovateurs », « piliers de l’avenir », « engagement clair ». Mais derrière cette envolée rhétorique, se profile une réalité bien plus crue : en Haïti, le pouvoir adore parler de la jeunesse… mais agit rarement pour elle.
Le recyclage des promesses
Depuis au moins trois décennies, chaque 12 août, chaque 1er janvier, chaque discours de clôture d’année scolaire, les mêmes termes reviennent, presque inchangés. Les promesses de formations, de stages, de mentorat et d’accompagnement ciblé sont devenues un rituel politique, récité avec l’assurance d’un comédien qui connaît son texte par cœur. Pourtant, la jeunesse haïtienne, livrée à elle-même, continue de fuir le pays en masse.
En 2024, plus de 175 000 jeunes auraient quitté Haïti légalement ou clandestinement, selon des estimations croisées de l’OIM et de la Banque mondiale. Les gouvernements passent, les mots restent. Les actes, eux, restent absents.
Un manque de coordination abyssal
Si le discours de M. Saint-Cyr évoque l’importance de repenser les politiques publiques avec la jeunesse, il passe sous silence un problème majeur : le manque total de coordination institutionnelle.
Les ministères clés (Éducation, Jeunesse et Sports, Affaires Sociales, Commerce, Planification) travaillent chacun dans leur silo, parfois même en concurrence pour des fonds ou de la visibilité.
Les projets jeunesse annoncés ne sont jamais intégrés dans un plan global, financé et suivi. Résultat : on multiplie les petites initiatives de façade, sans jamais créer un écosystème durable.
Une absence flagrante de volonté politique
En politique, la volonté ne se mesure pas aux discours, mais aux budgets. Or, en 2025, moins de 1,2 % du budget national est directement alloué aux programmes de jeunesse et d’emploi des jeunes, un chiffre dérisoire face à l’ampleur des besoins.
On pourrait doubler, tripler cette part en réduisant certaines dépenses superflues de l’État, mais cela impliquerait de toucher aux zones de confort du pouvoir. Et ça, aucun dirigeant ne semble prêt à le faire.
Le double discours : jeunesse glorifiée, jeunesse suspectée
L’hypocrisie du système ne se limite pas aux promesses non tenues. D’un côté, on encense la jeunesse comme moteur de changement ; de l’autre, on la diabolise dès qu’elle s’organise en dehors des canaux contrôlés par le pouvoir.
Les jeunes leaders communautaires sont ignorés, les mouvements citoyens sont infiltrés ou réprimés, et les projets portés par des collectifs indépendants peinent à obtenir le moindre appui institutionnel.
La responsabilité collective
Certes, la critique doit aller au-delà des seuls responsables politiques. Les grandes entreprises haïtiennes, les chambres de commerce, les institutions internationales présentes sur le territoire, toutes promettent elles aussi « l’appui à la jeunesse ». Mais combien de véritables programmes de stages rémunérés, de mentorat structuré ou d’incubation d’entreprises existent aujourd’hui en Haïti ? Le secteur privé préfère souvent sponsoriser des événements médiatiques pour l’image, plutôt que d’investir sur le long terme dans le capital humain du pays.
Rien ne changera sans rupture
Le problème n’est pas seulement l’absence de réalisations : c’est l’absence de mécanisme pour passer du discours à l’action.
Tant que les politiques publiques ne seront pas liées à des objectifs mesurables, assortis de sanctions pour non-exécution, nous resterons dans le cycle pervers des commémorations creuses.
Pour briser ce cycle, il faudrait :
• Un Plan national pour la jeunesse sur 10 ans, avec budget garanti et suivi indépendant.
• Des obligations légales pour que les institutions publiques et privées offrent un quota de stages et de formations certifiantes.
• Une gouvernance où les jeunes siègent avec un pouvoir décisionnel réel, et non symbolique.
Mais il faudrait surtout un courage politique que, pour l’instant, personne au sommet de l’État ne semble prêt à assumer.
En attendant, les discours continueront de s’élever chaque 12 août. La jeunesse applaudira par politesse… puis reprendra son combat quotidien pour survivre dans un pays qui, malgré ses belles paroles, ne lui offre toujours pas les moyens de rester et de bâtir.
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