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Par Jean Wesley Pierre

Port-au-Prince, 14 août 2025 – En ce jour où la nation devrait vibrer au souvenir du Bois Caïman, première étincelle de la liberté haïtienne, le bruit des tambours et des chants s’est vu couvert par celui des rafales d’armes automatiques. À Delmas 30, Delmas 32 et dans le quartier de Christ-Roi, les habitants vivent l’enfer depuis le début de la soirée. À peine vingt heures, et déjà les balles pleuvent sans répit sur ces riverains qui n’ont commis qu’un crime : vouloir vivre.

Un contraste insoutenable

Le 14 août est censé être un jour d’orgueil et de mémoire. On y célèbre le courage de ceux qui, en 1791, se sont levés contre l’ordre colonial, unis sous le serment du Bois Caïman. Ce jour-là, les esclaves ne demandaient pas l’aumône : ils réclamaient la liberté, et ils l’ont conquise au prix du sang.

Aujourd’hui, le peuple descend toujours dans la rue, mais pas pour briser ses chaînes. Les rues de Delmas et de Christ-Roi, ce soir, sont désertées, non par soumission volontaire, mais par la peur d’être fauchés par des balles perdues. Là où les ancêtres ont crié « vive la liberté », les enfants crient « baisse-toi » ou « cours ! » pour échapper à la mort.

Une tragédie sociale et politique

Ce qui se passe ce soir n’est pas un simple épisode de violence : c’est le miroir d’un État absent, d’un système de sécurité effondré, d’une capitale livrée aux groupes armés de Viv ansanm. Les habitants de ces zones ne sont pas des cibles militaires ; ce sont des familles, des travailleurs, des enfants, des vieillards qui subissent une guerre qui ne dit pas son nom.

Ce contraste entre la mémoire d’un acte fondateur et la réalité présente illustre la décadence de notre cohésion sociale. Là où la cérémonie du Bois Caïman symbolisait l’unité, la fraternité et la résistance commune, la Haïti de 2025 est marquée par la fragmentation, la méfiance et l’isolement.

Un appel à réveiller la conscience collective

En 1791, les insurgés ont invoqué les loas, mais ils ont aussi pris leur destin en main. Ils savaient que la foi seule ne suffirait pas, qu’il fallait l’action, l’unité et le sacrifice. Aujourd’hui, qui osera appeler à un nouveau serment, non pour affronter un maître colonial, mais pour reconquérir le droit élémentaire de vivre sans craindre les balles ?
La situation de ce soir, sur ce jour symbolique, est plus qu’une coïncidence tragique : c’est un avertissement. Si nous continuons à honorer la mémoire de nos ancêtres uniquement par des discours et des commémorations, sans agir pour protéger la vie de nos frères et sœurs, alors leur combat risque de se transformer en simple folklore, vidé de sa substance.

Car en ce 14 août 2025, la mémoire du Bois Caïman ne résonne pas dans le tonnerre des tambours, mais dans celui des armes automatiques. Et tant que nous n’aurons pas retrouvé l’esprit de résistance et de solidarité qui a fait notre force en 1791, ce contraste douloureux se répétera.


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