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Par Lawouze Infos

Le gouvernement de transition haïtien a adopté, lors du Conseil des ministres du 9 octobre 2025, son premier budget général 2025-2026, d’un montant global de 345,5 milliards de gourdes, en hausse de 6,8 % par rapport au budget rectificatif 2024-2025.

Sur le papier, ce budget veut être celui de la « continuité et de la stabilisation ». Dans les faits, il s’inscrit dans un contexte de crise multidimensionnelle, marqué par la fragilité institutionnelle, la faiblesse des recettes internes, la persistance de la violence armée et une économie en quasi-stagnation.

Un budget politique sous haute surveillance

Dès sa présentation, le ton est donné : sécurité, élections et stabilisation macroéconomique en constituent les trois priorités. Le gouvernement de transition entend « mener à terme le processus de transition politique » et organiser des élections générales inclusives, financées par le Basket Fund un mécanisme hybride mêlant fonds publics et appuis externes.

Cette orientation traduit une volonté de redonner une légitimité institutionnelle à un État largement délégitimé, tout en s’assurant d’une continuité administrative minimale.
Mais au-delà du discours, se pose une question cruciale : le pays dispose-t-il des moyens financiers, logistiques et sécuritaires pour honorer ces ambitions ?

Des recettes en hausse, mais une économie toujours étouffée

Le gouvernement mise sur une augmentation de 11,9 % des recettes courantes, pour atteindre 243,5 milliards de gourdes. Cette performance attendue repose principalement sur la Direction Générale des Impôts (DGI) et l’Administration Générale des Douanes (AGD), censées mobiliser 70,5 % des voies et moyens du budget.

Cependant, cette projection peut sembler optimiste, voire risquée, au vu du ralentissement des activités économiques et du faible pouvoir d’achat des ménages.

Le taux de croissance prévu de 0,3 % est quasi nul, et l’inflation, attendue à 23,4 %, continue de grignoter la valeur réelle des revenus et des recettes.

Autrement dit, l’État collecte plus de gourdes dépréciées dans une économie qui ne produit presque rien de neuf.

L’effort de modernisation fiscale évoqué notamment la numérisation des services et la lutte contre la fraude est salutaire, mais les contraintes structurelles demeurent : corruption endémique, évasion massive, faiblesse de l’administration locale, et surtout économie informelle dominante qui échappe presque totalement à l’impôt.

Dépenses sous tension : l’État paie pour survivre

Sur les 345,5 milliards de gourdes de dépenses, 213,6 milliards (61,8 %) sont consacrés aux dépenses courantes.

Les dépenses de personnel (112 milliards) absorbent à elles seules près du tiers du budget global (32,4 %), illustrant un État lourdement bureaucratisé mais peu performant.

Les biens et services (65,9 milliards) et les subventions (28 milliards) connaissent également une hausse notable, notamment en raison des contrats de prestation d’électricité et du maintien de certains fonds spéciaux hérités du budget précédent.

Cette configuration met en lumière un déséquilibre classique : l’État haïtien consomme plus qu’il n’investit.

En effet, les dépenses de capital, censées financer les infrastructures et le développement, chutent de 4,9 %, pour s’établir à 131,9 milliards de gourdes.

Cette contraction survient alors même que les besoins en matière de réhabilitation d’écoles, d’hôpitaux, de routes et d’électricité sont criants.

Le paradoxe est flagrant : l’investissement public recule, tandis que les urgences sociales et sécuritaires explosent.

Une dépendance persistante à l’aide externe

Les dons et emprunts représentent 19,1 % du budget, soit 65,9 milliards de gourdes, tandis que les bons du Trésor atteignent 29,2 milliards.

En clair, l’État continue de vivre à crédit, en empruntant sur les marchés internes et en quémandant auprès des bailleurs internationaux.

Cette dépendance chronique fragilise la souveraineté économique du pays : chaque retard dans les décaissements extérieurs se traduit par une asphyxie budgétaire, un gel des projets publics et souvent une hausse de la dette domestique.

Même si le gouvernement affirme que le financement monétaire est nul, la pression inflationniste pourrait obliger la Banque de la République d’Haïti (BRH) à monétiser indirectement certaines dépenses.

Les priorités sectorielles : entre urgence et survie

Le budget identifie des axes prioritaires louables, mais leur faisabilité interroge.

En sécurité, des crédits sont prévus pour la réhabilitation des commissariats, le renforcement de la PNH et l’acquisition d’équipements modernes. Mais sans une refonte complète de la gouvernance policière, ces investissements risquent de n’être que cosmétiques.

Pour les élections, l’allocation de ressources au CEP et la sécurisation du scrutin constituent un signal politique fort. Mais le succès dépendra d’un facteur extra-budgétaire : le contrôle effectif du territoire.

En matière de sécurité alimentaire et santé, la poursuite du Food Shock Window (FSW) et les programmes d’aides directes aux plus vulnérables restent essentiels. Toutefois, ces mesures demeurent palliatives, non structurantes.

L’absence d’une politique agricole cohérente ou d’un plan industriel à long terme traduit un manque de vision : le budget répond à la survie, pas à la transformation.

Un budget de transition, pas encore de redressement

En somme, le budget 2025-2026 apparaît comme un exercice de gestion sous contraintes, un compromis entre urgence politique, pression sociale et impératifs internationaux.
Il traduit la volonté du gouvernement de stabiliser sans transformer, de continuer sans réellement innover.

Sur le plan macroéconomique, l’État parvient à maintenir un certain équilibre, mais au prix d’une croissance quasi nulle et d’un pouvoir d’achat en chute libre.

Sur le plan social, la précarité s’enracine, et sur le plan politique, tout dépendra de la réussite ou non du pari électoral.

Le réalisme d’un budget d’attente

Le budget 2025-2026 n’est pas celui d’une relance, mais celui d’une attente vigilante.

Il traduit l’effort d’un État fragile tentant de préserver sa crédibilité financière tout en répondant aux urgences vitales.

Mais sans réformes structurelles profondes fiscales, institutionnelles, productives ce document restera un outil de gestion transitoire, incapable de sortir Haïti de la spirale de dépendance et de pauvreté.

L’équation est claire : sans sécurité, il n’y aura pas d’investissement ; sans investissement, pas de croissance ; sans croissance, pas de stabilité politique.

Le budget 2025-2026 tente de maintenir le navire à flot mais la mer reste dangereusement agitée.


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