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La sortie de scène politique de la mairesse du Cap-Haïtien, Yvrose Pierre, s’accompagne d’un communiqué empreint de gratitude mais aussi de revendication d’un bilan qu’elle qualifie d’historique. À travers ses mots, c’est une certaine vision de la gouvernance municipale qui se dessine : une gouvernance ancrée dans la stabilité, la projection internationale et la résilience face aux crises environnementales. Mais cette lecture mérite d’être confrontée aux réalités haïtiennes, souvent marquées par des contradictions entre discours et vécu citoyen.

Le pari de la sécurité locale dans un pays à feu et à sang

La mairesse souligne que « Cap-Haïtien s’est affirmé comme un havre de paix » depuis 2019, alors que l’insécurité ravageait Port-au-Prince et d’autres régions du pays. Cet argument, bien que recevable, révèle aussi un paradoxe : comment une ville du Nord a-t-elle pu préserver une relative stabilité quand la capitale et les zones périphériques sombraient dans la violence des gangs ?
Certains observateurs y voient l’effet d’une stratégie municipale proactive, combinée à un certain pragmatisme politique. D’autres, plus critiques, estiment que la paix capoise tient moins de la gouvernance locale que d’un équilibre fragile entre acteurs économiques, forces sociales et absence de pressions directes de groupes armés puissants. Dans tous les cas, la sécurité du Cap a permis le maintien d’un dynamisme commercial et touristique rare en Haïti. Mais elle souligne aussi l’inégalité territoriale criante : une capitale paralysée, pendant que le Nord se vend comme « vitrine du possible ».

Une gouvernance municipale en quête de modernité

Yvrose Pierre revendique une réforme interne : concours de recrutement, plan communal de développement, projets routiers. Ces initiatives traduisent une volonté d’institutionnaliser la gestion municipale, là où la plupart des mairies haïtiennes fonctionnent encore sur la base du clientélisme. Mais la question demeure : ces réformes survivront-elles à son départ ?
Haïti connaît une instabilité chronique dans la continuité administrative. L’expérience démontre que les plans et les projets, aussi ambitieux soient-ils, risquent d’être abandonnés ou détournés par de nouvelles équipes. L’épreuve de vérité viendra donc de la capacité de la société civile capoise à exiger que la trajectoire tracée ne soit pas renversée par des calculs politiques.

Entre écologie, mémoire et diplomatie urbaine

Trois éléments majeurs de son bilan méritent une attention particulière :

Le projet de traitement des déchets à Mouchinette : une initiative rare dans un pays où la gestion des ordures reste une catastrophe sanitaire et esthétique. Mais ce projet, encore inachevé, risque d’affronter les obstacles classiques : manque de financement, résistance sociale et absence d’entretien à long terme.

La valorisation de la mémoire historique : avec la transformation de la Maison Anténor Firmin en centre culturel, la mairesse lie le développement local à la réhabilitation de figures emblématiques. Une démarche qui rompt avec la tendance à négliger le patrimoine en Haïti, mais qui nécessitera un accompagnement pédagogique et budgétaire pour ne pas devenir une coquille vide.

L’ouverture internationale : Cap-Haïtien, via ses jumelages et réseaux, s’est hissé sur la scène mondiale, parfois plus que Port-au-Prince. Cette diplomatie urbaine constitue un atout, mais aussi une interrogation : faut-il compenser l’absence d’État central fort par des municipalités « autonomes » à l’international ?

La dimension féministe et le combat politique

La mairesse sortante revendique également son rôle de femme en politique, dans un pays où la représentation féminine reste marginale. Elle inscrit son action dans un combat collectif pour plus de parité, ce qui donne une portée symbolique à son mandat. Mais cette revendication risque de rester symbolique si elle n’est pas relayée par une génération de femmes leaders prêtes à conquérir l’espace politique au-delà de la municipalité.

Héritage et limites

En définitive, Yvrose Pierre laisse derrière elle l’image d’une mairesse qui a tenté de faire du Cap-Haïtien un laboratoire de stabilité et de modernité dans un pays brisé par l’effondrement de l’État central. Mais son communiqué, marqué par une tonalité auto-élogieuse, occulte certaines zones d’ombre : la persistance des inégalités sociales dans la ville, l’absence d’un plan concret de développement économique inclusif et la dépendance forte vis-à-vis de partenaires étrangers.
Son départ ouvre une interrogation majeure : le Cap-Haïtien poursuivra-t-il cette trajectoire, ou retombera-t-il dans la stagnation et le clientélisme qui gangrènent tant de municipalités haïtiennes ?

L’avenir de la deuxième ville du pays dépendra moins des déclarations d’une mairesse sortante que de la capacité collective des Capois à transformer ce bilan en socle durable. La véritable question est donc celle-ci : le Cap-Haïtien peut-il rester cette « lumière » dont parle Yvrose Pierre, dans un pays où la nuit de l’instabilité semble sans fin ?

Catégories : Atualités

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