Par Jean Wesley Pierre
Encore une rencontre. Une de plus. Cette fois, c’est au Cap-Haïtien que le Conseiller Président, Laurent Saint-Cyr, représentantsu secteur économique au sein du CPT, a réuni ce 8 mai 2025, les présidents des Chambres de commerce du Grand Nord, accompagnés de quelques figures de la capitale, à l’aube d’une table ronde avec le président de la Banque interaméricaine de développement (BID). Officiellement, l’objectif était noble : identifier des projets « porteurs », améliorer la connectivité, stimuler l’attractivité régionale. Officieusement ? L’avenir nous dira s’il ne s’agit pas, une fois encore, d’un ballet de promesses creuses, déconnectées des réalités économiques et institutionnelles du pays.
Le Conseiller Président a, sans surprise, plaidé pour une relance du secteur privé par un « partenariat structuré » entre État, bailleurs et entrepreneurs. Un discours lissé, calibré pour séduire la BID, mais totalement muet sur les leviers concrets : quels montants d’investissements sont envisagés ? Quel calendrier d’exécution pour les « chantiers à fort impact social » ? Quelle part de responsabilité assumera l’État dans un environnement institutionnel où la défaillance publique est la norme ?
Le manque de clarté sur les mécanismes de financement, l’absence d’indicateurs mesurables et la répétition des formules vagues comme « emplois dignes et massifs » laissent sceptique. Depuis des décennies, le secteur privé haïtien — en particulier régional — est pris en otage par l’insécurité, l’absence d’infrastructures et le clientélisme. Or, rien dans cette réunion ne garantit que ces contraintes seront levées.
Les représentants des Chambres de commerce ont salué cette initiative comme un « signal fort ». Mais en réalité, leur position reflète un malaise : ces institutions intermédiaires peinent à démontrer leur efficacité sur le terrain. Trop souvent perçues comme des clubs d’élites économiques urbaines déconnectées des PME rurales ou informelles, elles peinent à représenter la diversité du tissu entrepreneurial haïtien. Sans réforme interne, leur rôle restera marginal dans un processus de développement véritablement inclusif.
Aucune mention sérieuse n’a été faite des questions fiscales (comment alléger la pression sur les entreprises locales ?), de l’accès au crédit (comment recapitaliser sans politique monétaire cohérente ?), ni des politiques d’importation qui étouffent la production nationale. De même, la formation professionnelle évoquée n’a été abordée que comme un vœu pieux, sans stratégie nationale cohérente.
Quant à l’aspect géopolitique, il est difficile d’ignorer que la venue d’Ilan Goldfajn s’inscrit dans une logique d’influence croissante de la BID dans la région. Mais peut-on sérieusement parler de souveraineté économique lorsque l’agenda national semble dicté par l’agenda des bailleurs ?
La rencontre du 8 mai aurait pu marquer un tournant si elle s’était accompagnée d’annonces concrètes, d’engagements chiffrés et d’une volonté claire de réformes. Elle n’a, pour l’instant, produit qu’un communiqué politiquement correct. Le Grand Nord, comme le reste du pays, n’a pas besoin de mots : il a besoin d’un État stratège, d’un secteur privé inclusif et d’une vision à long terme. Sans cela, les jeunes continueront de fuir, les investisseurs de se méfier, et les conférences de se succéder… dans le vide.
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