Par Jean Wesley Pierre – Port-au-Prince, 12 août 2025
Un nouvel épisode de violence urbaine vient ternir un peu plus le climat déjà lourd qui pèse sur la capitale haïtienne. Ce mardi, en milieu de journée, un minibus de transport en commun assurant la liaison entre Clercine et le centre-ville de Port-au-Prince a été détourné à Delmas 19, à proximité immédiate des locaux de la station Storm TV. Selon les informations recueillies, deux individus armés circulant à moto ont intercepté le véhicule avant de forcer le chauffeur à changer de trajectoire, emmenant avec eux tous les passagers.
Un rapt collectif en pleine zone urbaine
Des témoins affirment que les assaillants ont pris le contrôle du minibus en quelques secondes, armes à la main, sous le regard impuissant des passants. L’opération s’est déroulée sans intervention policière immédiate. « Nou te wè minibus la ap pase, apre nou wè li fèmen vit, epi moto yo pran devan. Tout bagay fèt rapid. Moun yo tèlman pè, pèsonn pa bouje », raconte un riverain.
Aucune information officielle n’a encore filtré sur le nombre exact de personnes enlevées, ni sur leurs identités. Les autorités n’ont pas non plus précisé si une demande de rançon a été formulée, mais la nature de l’attaque laisse présager un acte de kidnapping, phénomène qui, depuis 2020, est devenu une industrie criminelle particulièrement lucrative en Haïti.
Un modus operandi connu
L’attaque de ce mardi s’inscrit dans une série d’incidents similaires. Ces derniers mois, plusieurs véhicules de transport public ont été pris pour cibles par des gangs armés à Delmas, Martissant, Croix-des-Bouquets et sur la Nationale #1.
Le 15 juin 2025, un bus assurant la liaison entre Pétion-Ville et Carrefour a été stoppé à Delmas 33 par quatre hommes armés ; sept passagers avaient été enlevés.
En mars 2024, à Croix-des-Missions, un minibus avait été détourné avec 18 passagers, libérés plusieurs jours plus tard contre rançon.
En novembre 2023, un taxi-bus Tap-Tap avait été intercepté à Martissant ; trois personnes avaient été tuées lors d’un échange de tirs avec un autre groupe armé.
Ces attaques visent presque toujours les véhicules collectifs, car ils permettent aux assaillants de capturer plusieurs otages en une seule opération, maximisant ainsi le potentiel de rançon.
Delmas 19 : une zone stratégique sous emprise criminelle
Le secteur de Delmas 19, situé à proximité de grands axes et de zones commerciales, est devenu au fil des mois un point névralgique pour les groupes armés. Sa position stratégique permet un repli rapide vers des zones de non-droit comme Cité Soleil, Bel-Air ou Solino.
Malgré les patrouilles sporadiques de la Police Nationale d’Haïti (PNH), les gangs lourdement armés continuent d’y imposer leur loi, opérant souvent en plein jour.
Une police dépassée par l’ampleur du phénomène
Depuis le début de l’année 2025, plus de 1 100 cas d’enlèvements ont été recensés à travers le pays, selon le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), dont plus de 60 % dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Les gangs profitent du manque de ressources et d’équipements de la PNH pour opérer quasiment en toute impunité.
Malgré l’annonce, en avril dernier, d’une « opération coup de poing » à Delmas, les résultats restent maigres : les arrestations sont rares et les chefs de gangs demeurent intouchables.
La peur comme quotidien
Pour les habitants de Delmas, chaque trajet en transport en commun est désormais une prise de risque. Nombre d’entre eux limitent leurs déplacements, voire cessent complètement d’utiliser les minibus, préférant marcher ou emprunter des motos-taxis, malgré le danger que cela représente également.
« Nou konn di nan Delmas, si ou rantre nan yon minibus, ou pap janm konnen si ou rive nan destinasyon w », confie un chauffeur de la ligne Clercine–Portail Léogâne.
Et après ?
Tant que les groupes armés garderont le contrôle de ces zones, la population restera à la merci de ce type d’opérations. Les forces de l’ordre sont appelées à intensifier leurs actions, mais sans un appui logistique massif et une coordination réelle avec la communauté, ces détournements risquent de rester un triste rituel de la vie quotidienne à Port-au-Prince.
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