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Par Jean Wesley Pierre

Quand un État fait appel à des mercenaires étrangers tristement célèbres pour leur mépris du droit international, c’est qu’il a cessé d’exister comme autorité morale. L’annonce faite par le média américain The New York Times à propos du contrat signé entre le gouvernement haïtien et Erik Prince, fondateur de Blackwater et symbole des dérives sécuritaires mondiales, pour combattre les gangs en Haïti, spécialement à Port-au-Prince est un aveu tragique d’échec. Mais c’est aussi un acte de haute trahison envers le peuple haïtien.

Il ne s’agit pas d’une simple décision tactique. C’est une reddition idéologique, politique et éthique. C’est admettre que nos dirigeants n’ont ni la capacité, ni la volonté, ni la vision de construire une sécurité souveraine, enracinée dans notre réalité, nos communautés, nos savoirs.

Erik Prince : la GUERRE privatisée, sans morale ni reddition de comptes

Qui est Erik Prince ? Un idéologue ultra-libéral, ancien soldat des Navy SEAL, homme d’affaires sulfureux, impliqué dans des crimes de guerre en Irak (17 civils massacrés à Bagdad en 2007), conseiller de dictateurs, allié des réseaux trumpistes les plus radicaux. Son nom est associé à la privatisation de la guerre, à la logique du chaos rentable, et à la corruption des principes fondamentaux du droit international humanitaire.

Et c’est à cet homme que l’État haïtien confie le monopole de la violence légitime, sans contrôle parlementaire, sans consultation citoyenne, sans plan structurant ? Un mercenaire milliardaire viendrait donc « nettoyer » les quartiers, avec des drones et des hélicoptères, sans rendre compte à personne ? La mort en sous-traitance, c’est cela la solution ?

Une gouvernance sans VISION, ni DIGNITÉ

Ce choix ne tombe pas du ciel. Il s’inscrit dans une longue série d’abandons stratégiques : désinvestissement structurel dans la Police nationale haïtienne (PNH), et des forces armées d’Haïti, destruction méthodique des forces de défense nationale, corruption généralisée dans les douanes, la justice, la politique pénitentiaire. L’État a choisi la rente de la dépendance plutôt que l’effort de la reconstruction.

En confiant notre sécurité à des compagnies privées étrangères, nous renonçons à toute souveraineté. Nous reproduisons le même schéma d’occupation et d’ingérence qui, depuis 1915, gangrène notre développement. Aujourd’hui, les gangs sont le symptôme d’un système politico-économique malade, profondément inégalitaire, gangrené par la corruption et l’impunité. Et face à cela, nos dirigeants n’ont qu’une seule réponse : importer la guerre de l’étranger.

La fausse promesse sécuritaire !

Les mercenaires ne reconstruisent pas les nations. Ils ne réparent pas le tissu social. Ils ne rétablissent pas l’État de droit. Leur mission est purement contractuelle : sécuriser des intérêts, éliminer des cibles, générer du profit. Dans les favelas de Rio, les drones israéliens n’ont pas éradiqué le narcotrafic. En Irak, Blackwater n’a pas apporté la paix, seulement plus de cadavres et plus de chaos.

En Haïti, cette approche pourrait radicaliser davantage les jeunes des quartiers populaires, qui verront dans cette militarisation une guerre contre les pauvres, contre les exclus, contre les enfants d’un État qui les a abandonnés.

Des alternatives haïtiennes existent !

Il est faux de dire que NOUS n’avons pas d’alternative. Ce qu’il manque, ce n’est pas la solution, c’est le courage politique de l’appliquer. Voici quelques pistes concrètes, locales, adaptables que des expertsen sécurité prônent :

1. Réformer, équiper et encadrer la Police nationale haïtienne (PNH)

La PNH doit être renforcée par une réforme structurelle : recrutement massif, meilleure formation (notamment en renseignement et intervention urbaine), dotation en équipements adaptés, rotations en zones sensibles, et création d’unités communautaires de proximité.

2. Désarmer les gangs par l’assèchement de leurs réseaux économiques.
Les gangs ne survivent que grâce à la complicité des élites économiques et politiques, au trafic d’armes (via les ports et aéroports) et à l’extorsion. Un contrôle rigoureux des douanes, avec des audits publics et indépendants, couplé à une justice anticorruption efficace, serait une frappe stratégique bien plus puissante que n’importe quel drone.

3. Impliquer les communautés locales dans la stratégie de sécurité.
Les zones de non-droit ne sont pas seulement le terrain des gangs, ce sont aussi des espaces de vie, de résistance, de solidarité. Il faut intégrer les leaders communautaires, les églises, les écoles, les associations de jeunes dans un grand programme de pacification et de dialogue, avec des budgets participatifs.

4. Créer une garde nationale citoyenne.
Inspirée de l’expérience latino-américaine (Bolivie, Salvador), une force de réserve citoyenne, formée au respect des droits humains, encadrée par des anciens militaires et policiers intègres, pourrait jouer un rôle de soutien logistique et moral à la (PNH) Police nationale haïtienne, tout en renforçant la résilience communautaire.

5. Renationaliser la sécurité et sortir de la dépendance étrangère.
Cela implique une rupture politique : sortir des logiques d’assistanat militaire (MINUSTAH, Kenya, BINUH, MINUJUSTH, Prince & Co.) pour investir dans une stratégie souveraine de défense et de sécurité nationale, avec des alliés régionaux choisis (Cuba, CARICOM, Union africaine), pas imposés par Washington.

L’urgence d’une souveraineté populaire

Ce n’est pas seulement une question de sécurité. C’est une question de dignité. La sécurité ne peut pas être importée, elle doit être construite par, pour et avec le peuple. Faire appel à Erik Prince, c’est signer notre propre humiliation, c’est accepter que notre avenir se décide à Abu Dhabi ou à Washington.

Haïti mérite mieux que des drones tueurs et des soldats sans drapeau. Elle mérite un État. Elle mérite la justice. Elle mérite la paix. Mais une paix fondée sur le droit, pas sur la sous-traitance de la violence.

Catégories : Atualités

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