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Par la rédaction de Lawouze Infos

Port-au-Prince, 8 novembre 2025 —
À trois mois du 7 février 2026, date censée marquer la fin du mandat du Conseil présidentiel de transition (CPT), Haïti se retrouve une fois encore à la croisée des chemins. Derrière les discours officiels et les appels à la stabilité, se joue une bataille politique discrète mais décisive pour le futur immédiat du pays. Entre calculs de pouvoir, pressions diplomatiques et peur du vide institutionnel, la transition, qui devait être une passerelle vers la légitimité, semble désormais piégée dans sa propre logique d’indécision.

Une transition qui s’étire et s’essouffle

Créé en 2024 sous l’impulsion d’un compromis politique soutenu par la communauté internationale, le CPT avait pour mission de restaurer la stabilité, relancer les institutions démocratiques et organiser des élections générales avant février 2026. Plus d’un an plus tard, ces promesses sont restées lettre morte.
Le pays n’a toujours ni Conseil électoral permanent, ni calendrier électoral, ni même un climat sécuritaire propice à un scrutin. Dans les faits, la transition s’est enfermée dans une gouvernance de survie, marquée par les luttes internes, les divergences d’agenda entre conseillers, et une forte dépendance vis-à-vis des bailleurs étrangers.

Les quatre scénarios d’une fin incertaine

Dans les milieux politiques haïtiens et diplomatiques, quatre scénarios dominent aujourd’hui les discussions autour de l’après-7 février :

1. Le maintien d’un membre du CPT aux côtés du Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé – scénario de continuité minimale, jugé le plus “gérable” par les partenaires internationaux.

2. Un gouvernement monocéphale dirigé par Fils-Aimé, sans président, avec un cabinet remanié – une formule qui vise la simplicité et l’efficacité, mais qui pose la question de la légitimité.

3. Une transition pilotée par le président de la Cour de cassation et le Premier ministre, soutenue par un nouvel exécutif option prônée par certains juristes au nom de la hiérarchie institutionnelle.

4. Le renvoi du CPT et du gouvernement actuel, pour ouvrir une nouvelle transition soutenue par des organisations citoyennes et une frange de l’opposition, exaspérées par l’immobilisme du Conseil.

Chacun de ces scénarios traduit un rapport de force politique, mais tous convergent sur un point : le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé apparaît comme la constante du jeu.

Fils-Aimé, figure de continuité ou verrou du système ?

Discret, technocrate et perçu comme un homme de compromis, Alix Didier Fils-Aimé s’est imposé, malgré lui, comme le pilier central de la transition.
Son maintien dans presque toutes les hypothèses n’est pas le fruit du hasard.
Selon une source diplomatique à Port-au-Prince, « un changement de Premier ministre équivaudrait à repartir à zéro et risquerait d’anéantir toute chance d’élections avant fin 2026 ».

Derrière cette prudence diplomatique se cache pourtant un malaise : pour une partie de la classe politique haïtienne, le Premier ministre symbolise aussi l’inertie et l’absence de vision politique claire. « Fils-Aimé gère la crise, mais il ne la résout pas », confie un ancien membre du gouvernement.

Entre la stabilité recherchée par l’international et la frustration d’une population lassée des transitions, son maintien cristallise à la fois la peur du vide et la peur du changement.

L’international, arbitre silencieux d’une fin annoncée

Dans les faits, la communauté internationale notamment les États-Unis et le Core Group reste l’arbitre discret de la transition.
Les signaux envoyés ces dernières semaines sont clairs : pas question de financer ou d’appuyer une nouvelle transition.

Washington et ses alliés souhaitent que le processus actuel aille à son terme, quitte à prolonger la présence du gouvernement actuel le temps de “finaliser le chantier électoral”.
Cette posture pragmatique, voire cynique, traduit la fatigue diplomatique vis-à-vis du “cycle des transitions sans fin” en Haïti.

Mais elle soulève aussi une question : peut-on encore parler de souveraineté quand les options politiques locales sont conditionnées par le feu vert des chancelleries étrangères ?

Le spectre du vide et la question de la légitimité

Le 7 février 2026 risque d’être une date symbolique plus qu’un véritable tournant.
Même si le CPT devait se dissoudre sans accord, les juristes estiment qu’en vertu du principe de continuité de l’État, le Premier ministre devrait rester en poste jusqu’à l’installation d’un nouvel exécutif.

Autrement dit, Haïti pourrait s’engager dans une prolongation tacite de la transition, sans réel mandat ni feuille de route politique claire.
Une perspective qui inquiète plus d’un.
« Ce serait une fuite en avant institutionnelle », alerte un professeur de droit constitutionnel. « Gouverner sans légitimité finit toujours par éroder l’autorité de l’État et nourrir la défiance populaire. »

Une transition sans horizon

En 2024, le CPT avait promis de rompre avec les cycles d’improvisation politique et de poser les bases d’un nouvel ordre institutionnel.
Un an plus tard, Haïti se retrouve au même point : sans élections, sans consensus, sans vision commune.

Les tractations en cours témoignent d’une classe dirigeante qui négocie la fin de la transition comme on négocie une place sur un radeau à la dérive.

Derrière les stratégies et les calculs, la question essentielle reste la même :
Haïti peut-elle sortir du provisoire sans reconstruire un socle de légitimité politique ?

À trois mois du 7 février, le pays ne semble pas prêt à franchir le cap.

Et la transition, censée être un pont, risque de devenir un labyrinthe sans issue.


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