Port-au-Prince, août 2025 — La tragédie se répète avec une régularité macabre. Des milliers de familles de Solino, Nazon, Delmas 30 et d’autres quartiers martyrisés rentrent, malgré elles, dans leurs maisons détruites. Elles obéissent non pas à un appel de l’État absent, complice ou impuissant mais à l’ordre cynique d’un chef criminel, Jimmy Chérisier, alias Barbecue. L’homme qui a réduit ces quartiers à l’état de cendres se transforme soudain en « guide du retour ». Ironie suprême : le bourreau se fait sauveur.
Des garanties ? Zéro.
Aucune garantie de sécurité n’a été donnée. Qui peut croire un instant qu’un criminel qui a violé, tué, incendié, racketté, se transforme miraculeusement en protecteur ? Comme le souligne Edwin Paraison, il ne s’agit nullement d’un geste humanitaire, mais d’une manœuvre stratégique : gagner une légitimité politique, utiliser les civils comme boucliers humains, préparer des négociations en coulisses. La « garantie » repose sur la parole d’un bandit, pendant que l’État, censé protéger ses citoyens se tait.
Cohabiter avec ses bourreaux ?
Faut-il oser parler de « cohabitation » entre civils et gangs ? C’est une absurdité. Cohabiter signifierait partager un espace sur des règles communes. Ici, les règles sont dictées par la peur et les armes. Ashley Laraque a raison : Barbecue se positionne en interlocuteur, mais personne ne parle de réparer les pertes de ces familles. Sans justice, sans réparation, sans dignité, la cohabitation n’est rien d’autre qu’une soumission forcée, un esclavage moderne imposé par les kalachnikovs.
L’État : grand absent, grand coupable
Jocelerme Privert l’a rappelé : seule une force publique digne de ce nom peut restaurer la sécurité. Mais où est-elle ? La police, découragée et sous-équipée, peine à exister. Les autorités, plus préoccupées par leurs privilèges, regardent ailleurs. Pendant ce temps, les victimes sont poussées à regagner des maisons calcinées, des rues sans lumière, des quartiers livrés à la loi des armes. L’État a trahi son devoir fondamental : protéger la vie.
Et les victimes ?
Ce sont elles qui portent toutes les cicatrices : leurs biens, leurs papiers, leurs souvenirs engloutis. Elles rentrent comme des brebis perdues dans des ruines qui rappellent la brutalité de leurs bourreaux. Comment guérir ces plaies ? Il faudrait une justice implacable, une politique de réparation, une véritable reconstruction urbaine. Rien de cela n’existe. Les victimes sont abandonnées, condamnées à la misère et au silence, tandis que leurs bourreaux jouissent d’une impunité arrogante.
La vérité crue
Le retour des déplacés n’est pas une victoire, c’est une défaite supplémentaire. C’est le signe que les criminels dictent la vie nationale, que l’État est en faillite, et que les victimes n’ont d’autre choix que de se soumettre. Chaque fois, c’est le même cycle : massacre, déplacement, retour forcé, silence politique. La boucle infernale se referme, et avec elle s’enfonce le peuple dans un abîme de douleur et d’abandon.
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