Par la rédaction de Lawouze Infos
Port-au-Prince, 8 novembre 2025 —
La Mairie de Pétion-Ville a annoncé l’interdiction de toute manifestation, rassemblement ou activité populaire sur son territoire du 14 au 20 novembre 2025, invoquant un risque élevé de troubles à l’ordre public dans un contexte sécuritaire déjà tendu.
Cette décision, rendue publique dans une correspondance adressée à la Police nationale d’Haïti (PNH), suscite à la fois compréhension et inquiétude dans la capitale.
Une mesure préventive en contexte de tension
Le président de la Commission municipale, Kesner Normil, justifie cette mesure exceptionnelle par l’article 68 de la loi du 29 juillet 2016, qui confère aux autorités locales le pouvoir de prendre « toutes les dispositions nécessaires pour préserver la tranquillité publique ».
Selon lui, la décision vise à prévenir des débordements dans une commune particulièrement exposée à la violence urbaine, aux manifestations politiques spontanées, et à des risques d’infiltration d’individus armés dans les rassemblements populaires.
La municipalité évoque notamment des renseignements préoccupants liés à des appels à la mobilisation qui circulent sur les réseaux sociaux, à un moment où les tensions s’exacerbent autour de la fin de la transition politique et de la montée des revendications sociales.
Une commune sous pression permanente
Située à la fois au cœur de l’activité économique de la région métropolitaine et aux portes de zones de non-droit, Pétion-Ville est devenue un point névralgique de la crise haïtienne.
Les récentes semaines ont été marquées par des fusillades, des enlèvements ciblés et des affrontements entre gangs armés dans plusieurs quartiers périphériques, notamment à Meyotte, Pernier et Laboule.
Dans ce climat, les autorités locales estiment ne pas pouvoir assumer la sécurité de grands rassemblements.
Une source municipale confie à Lawouze Infos :
« La situation est trop volatile. Un seul incident pourrait dégénérer en chaos. Il s’agit d’une mesure temporaire, uniquement motivée par des considérations de sécurité. »
Entre sécurité et libertés fondamentales
Si la décision municipale s’inscrit dans une logique de prévention, elle pose néanmoins la question du respect des droits fondamentaux, notamment celui de réunion pacifique garanti par la Constitution haïtienne et les conventions internationales ratifiées par le pays.
Des observateurs y voient une restriction inquiétante de l’espace civique.
Pour un défenseur des droits humains contacté par Lawouze Infos,
« Interdire toute manifestation pendant une semaine entière, sans distinction ni condition, équivaut à suspendre un droit constitutionnel. C’est un glissement dangereux, surtout dans un pays où l’expression publique est souvent la seule voie de revendication. »
D’autres, au contraire, estiment que les circonstances exceptionnelles justifient des mesures temporaires pour éviter un bain de sang.
L’équilibre entre sécurité collective et liberté individuelle demeure l’un des dilemmes majeurs du moment.
Une illustration du malaise national
Au-delà de Pétion-Ville, cette interdiction symbolise un malaise plus profond : celui d’un État affaibli, contraint d’imposer des restrictions pour pallier son incapacité à garantir la sécurité.
Dans plusieurs autres communes de la capitale, les autorités locales hésitent à autoriser des rassemblements, redoutant les violences ou les représailles des groupes armés.
L’interdiction décrétée par Kesner Normil révèle aussi la centralisation du pouvoir sécuritaire entre les mains des autorités locales et policières, dans un contexte où les institutions nationales de régulation comme le ministère de l’Intérieur ou le CSPN peinent à coordonner une réponse cohérente.
Un fragile équilibre à maintenir
Alors que le pays se prépare à une période politiquement sensible marquée par les débats sur la fin du mandat du Conseil présidentiel de transition (CPT) et la perspective incertaine des élections, cette décision municipale pourrait faire jurisprudence.
Elle traduit une tendance croissante à restreindre les libertés au nom de la sécurité, un glissement que certains redoutent de voir se généraliser.
En attendant, Pétion-Ville vivra du 14 au 20 novembre sous un régime de vigilance maximale.
Reste à savoir si cette interdiction parviendra réellement à prévenir les violences, ou si elle ne fera qu’alimenter la frustration d’une population déjà éprouvée par l’insécurité et la crise politique.

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