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Le 15 juillet 2025, la Primature haïtienne annonçait, avec emphase, la rencontre du Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé avec Michael Jensen, Directeur pour l’Hémisphère Occidental au Conseil National de Sécurité (NSC) des États-Unis. Le communiqué, lisse, diplomatique et prévisible, se voulait rassurant : Haïti serait engagée pour « la sécurité et la démocratie ».

Mais derrière les mots calibrés d’un tel texte officiel, surgissent des interpellations fondamentales. De quelle sécurité parle-t-on ? De quelle démocratie ? Et dans l’intérêt de qui ?

Une rencontre asymétrique dans un monde postcolonial

Il serait naïf de lire cet événement comme un simple dialogue bilatéral. Dans l’arène internationale, surtout entre une nation comme Haïti – exsangue, surmilitarisée par des missions étrangères, et en crise systémique – et une superpuissance comme les États-Unis, il ne s’agit jamais de simples échanges cordiaux. Il s’agit de rapports de forces.
Haïti, pays jadis victorieux face aux empires esclavagistes, est aujourd’hui un laboratoire néocolonial. Une fois de plus, un chef de gouvernement y va quémander un appui, présenter sa « bonne volonté », promettre de restaurer un « ordre public » qui, dans les faits, n’est jamais qu’un ordre imposé, qui criminalise les pauvres, neutralise les résistances et perpétue le chaos au profit des élites locales et des intérêts étrangers.

Le sociologue haïtien Jean Casimir l’a dit sans détour : « Ce n’est pas la transition démocratique que les puissances étrangères accompagnent en Haïti. C’est la transition d’Haïti vers un statut permanent de pays assisté. »

La démocratie sans peuple : un théâtre de l’absurde

Parler d’élections crédibles, transparentes et démocratiques dans un pays où plus de 4,5 millions de personnes vivent en insécurité alimentaire sévère, où 90% du territoire est contrôlé ou influencé par des groupes armés, et où la quasi-totalité des institutions sont dysfonctionnelles, relève soit de la mauvaise foi, soit du cynisme stratégique.
Comment tenir des élections alors que l’appareil électoral est inexistant, les partis politiques fragmentés, et la société civile réduite au silence par la peur ? Est-ce que la démocratie, ce noble idéal, peut être convoquée sans peuple libre, sans débat national, sans justice sociale ?
Ou bien s’agit-il plutôt de cette “démocratie managée”, que les États-Unis et certains bailleurs imposent en Afrique et dans les Caraïbes – une démocratie d’apparence, qui légitime des pouvoirs soumis aux marchés mondiaux, au détriment de la souveraineté des peuples ?

La « sécurité », ou le renforcement d’un appareil de répression ?

Le Premier ministre a réaffirmé sa volonté de rétablir l’ordre public. Mais quel ordre ? Celui qui protège les banques, les ambassades, les classes aisées retranchées dans leurs enclaves sécurisées, pendant que les bidonvilles, les campagnes, les routes nationales sont laissés à la merci des gangs ?
La sécurité ne peut être pensée uniquement en termes militaires. Comme le souligne Frantz Fanon, « la misère matérielle et la violence symbolique alimentent la désespérance des masses colonisées. » En Haïti, l’insécurité est le fruit d’une insécurité sociale structurelle, forgée par des décennies de politiques néolibérales imposées, de pillages systématiques des ressources, et de collusion entre pouvoirs politiques et mafias armées.

Une responsabilité partagée, mais inégale

Le chaos haïtien n’est pas né ex nihilo. Il est le produit d’une longue histoire d’ingérences, de sabotages et de trahisons. De l’occupation américaine de 1915 à 1934, à la dette de l’indépendance imposée par la France, en passant par les manipulations de la communauté internationale après 2004, les puissances occidentales ont toujours voulu une Haïti docile, fracturée, gouvernée à distance.

Mais la responsabilité n’est pas qu’externe. Elle est aussi interne. Les élites haïtiennes, qu’elles soient politiques, économiques ou intellectuelles, ont trop souvent renoncé à leur devoir patriotique, préférant l’allégeance aux puissances étrangères que la reconstruction d’un État social, juste, ancré dans les besoins réels de la population.

Quelle coopération ? Pour qui ? Et jusqu’à quand ?

La Primature parle de « coopération soutenue ». Pourtant, combien de fois a-t-on vu ces mêmes partenaires internationaux faire et défaire les gouvernements haïtiens au gré de leurs intérêts géostratégiques ? Combien de projets dits « de développement » sont en réalité des formes de captation de marchés, de contrôle politique, voire de domination culturelle ?
Haïti n’a pas besoin d’aide, elle a besoin de justice.
Justice réparatrice pour les crimes coloniaux et impérialistes. Justice sociale pour un peuple privé d’eau potable, d’éducation, de soins, d’emploi. Justice politique, pour qu’enfin, le pouvoir émane du peuple, et non de chancelleries étrangères.

Oser poser les vraies questions

Le Premier ministre peut-il affirmer que ses priorités sont celles du peuple haïtien et non celles dictées par Washington, l’OEA ou le Core Group ?

Pourquoi, en 2025, Haïti ne parvient toujours pas à maîtriser son territoire, son économie, ses frontières, sa gouvernance ?

Est-ce une fatalité… ou un système conçu pour que cela ne change jamais ?

Pour une autre voie : celle de la dignité retrouvée

C’est à nous, Haïtiens, de reprendre en main notre destin. Ce chemin est long, exigeant, mais il commence par une rupture épistémologique et politique avec les logiques coloniales, y compris celles qui se cachent derrière les discours de coopération et de démocratie.

S’inspirant de Jacques Roumain, Césaire, Sankara, et de tous ceux qui ont refusé la fatalité, il faut oser penser une Haïti debout, juste, souveraine. Une Haïti qui ne courbe plus l’échine dans les salons feutrés de Washington, mais qui fait entendre sa voix dans la clameur des peuples libres.

La Maison-Blanche n’est pas la maison d’Haïti. Notre maison, c’est celle du peuple, celle que nous avons à reconstruire, brique par brique, dans la sueur, la vérité, et la dignité.

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Catégories : Atualités

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