Par Jean Wesley Pierre
Une enquête interne et plusieurs témoignages recueillis récemment mettent en lumière un possible réseau de corruption impliquant des hauts responsables du ministère du Commerce et de l’Industrie (MCI). Selon les informations disponibles, le service de délivrance des permis et visas d’exportation aurait été illégalement délocalisé dans un restaurant privé à Turgeau, en dehors de toute procédure administrative officielle.
Au cœur de cette affaire : le ministre James Monazart, le directeur général du MCI, M. Smith, et Mme Carole, une employée cadre du ministère depuis plus de 30 ans.
Un service d’État transféré dans un restaurant
Depuis juin 2024, les services normalement fournis à l’annexe de la SONAPI, tels que les certificats d’origine, permis textiles, permis d’exportation générale, permis artisanaux et visa HOPE sont délivrés dans un espace privé : le restaurant La Belle Lune, situé en face de la Sogecarte, à Turgeau. Une seule personne y opère, en l’occurrence Mme Carole, qui collecte également les paiements associés à ces prestations.
Selon les témoignages recueillis, aucune comptabilité transparente n’est tenue, et aucun dépôt n’a été effectué au compte interne du ministère depuis le début de cette opération. Mme Carole aurait reconnu que les fonds collectés sont directement remis au directeur général, M. Smith, à l’insu des autres membres du personnel affectés à ce service.
Des employés sans fonction, mais contraints à la présence
Le service des exportations, actif à la SONAPI depuis 2001, comptait 12 employés affectés, dont plusieurs se trouvent aujourd’hui dans une situation d’impasse. Ils sont contraints de se présenter chaque jour au travail, bien qu’ils n’aient plus aucun matériel à disposition, les cachets et outils ayant été récupérés par ordre du ministre, selon des documents consultés par Le Nouvelliste.
Trois employés ne se présentent plus, dont un souffrirait de troubles mentaux, selon sa famille. Cette situation soulève de sérieuses questions sur le traitement du personnel administratif et sur la désorganisation manifeste d’un service public crucial.
Risques de falsification et atteinte à la crédibilité de l’État
Le caractère informel de la gestion actuelle de ce service engendre des risques majeurs de falsification de documents officiels, notamment pour les visas d’exportation et les certificats d’origine. À cela s’ajoute l’absence de vérifications internes et de traçabilité des opérations. Des exportateurs, dont WILBESS et DHL, auraient été priés de ne payer qu’en espèces, sans possibilité de paiement par chèque ou transfert bancaire.
De plus, la non-délivrance de certificats d’origine par l’Imprimerie nationale, comme l’exige la réglementation, met en péril les relations commerciales avec certains partenaires internationaux. Il est rapporté que certains documents utilisés à l’export sont de simples copies, parfois refusées par les douanes étrangères.
Pressions et gestion opaque
Il est également rapporté que le ministre aurait exercé des pressions, via les Ressources humaines, sur les employés affectés à la SONAPI. Il leur aurait été suggéré que leur accès à la carte de débit du ministère serait suspendu s’ils ne se présentaient pas au travail, malgré l’inexistence de tâches à accomplir sur place.
Le mardi 20 août 2024, un témoin a observé M. Smith déposer Mme Carole à La Belle Lune dès 9 h 15, pour une journée de travail dans ce local non officiel. Fait troublant : le lendemain, Mme Carole a cessé de se rendre au restaurant et a été réintégrée au bureau central du ministère. Ce revirement brusque laisse supposer que l’annonce d’une enquête interne a modifié la stratégie de ceux qui contrôlent ce système parallèle.
Une situation qui appelle des réponses urgentes
Ce dossier met en lumière une gestion parallèle, opaque et potentiellement illégale de fonds publics au sein d’un ministère de souveraineté. Il interpelle à plusieurs niveaux : administratif, juridique et éthique.
Le ministère devra répondre à plusieurs questions essentielles :
Pourquoi avoir fermé un service fonctionnel à la SONAPI sans justification officielle ?
Pourquoi maintenir en poste des employés sans outils de travail, tout en centralisant les opérations autour de trois personnes uniquement ?
Quelle est la destination réelle des fonds perçus dans un cadre non officiel ?
Pourquoi avoir modifié le processus de délivrance de documents aussi sensibles sans décision réglementaire connue ?
Appel à l’ULCC et à la justice
Face à l’ampleur des soupçons, il est impératif que l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) intervienne rapidement pour ouvrir une enquête formelle. La justice haïtienne, également, est appelée à jouer pleinement son rôle dans ce dossier, afin d’établir les responsabilités, d’assurer la transparence, et de prévenir toute nouvelle tentative de captation d’un service public stratégique.
Si les faits sont confirmés, des sanctions exemplaires devront être prises à l’encontre des responsables de ces actes. Car il ne s’agit pas seulement d’un abus administratif : il s’agit de détournement de fonds publics, de gestion informelle d’un service d’État, et d’un risque grave pour l’intégrité du commerce extérieur haïtien.
Lawouze Info poursuivra son travail de suivi et de vérification pour éclairer votre lanterne.

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