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Par Jean Wesley Pierre

La récente tournée de Donald Trump dans le Golfe, marquée par sa rencontre historique avec le président syrien Ahmed al-Sharaa et la signature d’un accord de défense avec le Qatar, représente bien plus qu’un simple jalon diplomatique : elle consacre un tournant stratégique radical de la politique étrangère américaine, aux conséquences potentiellement explosives.

Il s’agit de la première visite d’un président américain au Qatar depuis deux décennies, un geste fort dans un contexte régional en feu. Que Trump ait choisi de lever les sanctions contre la Syrie, de s’afficher aux côtés d’un dirigeant autoritaire comme al-Sharaa, tout en évitant toute critique claire contre les frappes israéliennes en cours à Gaza, trahit une diplomatie américaine désormais affranchie de toute prétention normative. L’Amérique, sous Trump, semble moins guidée par des principes que par des calculs transactionnels et une volonté de remodeler les équilibres régionaux en fonction de ses seuls intérêts à court terme.

La levée des sanctions américaines contre la Syrie constitue une rupture spectaculaire. Sous prétexte de « réalignement stratégique », Trump engage Washington dans un rapprochement cynique avec un régime encore considéré comme responsable de crimes de guerre par de nombreuses institutions internationales. Il s’agit là d’un pari risqué qui contredit deux décennies de politique de sanctions, sans condition réelle de réforme ou de justice transitionnelle. La « realpolitik » est ici poussée à l’extrême, au mépris des droits humains et des principes élémentaires de justice.

Selon les théories néoréalistes en relations internationales, les grandes puissances agissent avant tout pour préserver leur sécurité et maximiser leur influence. Dans cette logique, Trump cherche à contrer l’influence iranienne et russe en Syrie par une alliance tactique avec Damas. Mais cette stratégie revient à légitimer un régime ostracisé sans obtenir de concessions significatives. C’est, au fond, une capitulation masquée.

Pendant ce temps, Gaza s’effondre. Les attaques israéliennes se poursuivent, le blocus affame, les hôpitaux débordent, et l’aide humanitaire est à l’arrêt. Pourtant, aucun mot fort de Trump sur la situation. Aucune exigence adressée à Tel-Aviv. Ce silence volontaire en pleine tournée du Golfe illustre une constante dans son approche : les souffrances palestiniennes sont absentes de son agenda officiel, reléguées à des discussions « à huis clos », selon des analystes.

Il faut y voir une stratégie de contournement : en se focalisant sur la normalisation avec la Syrie, Trump détourne l’attention du conflit israélo-palestinien, pourtant central dans toute architecture de paix régionale. Il normalise la fragmentation du Moyen-Orient en nouant des alliances bilatérales qui court-circuitent les dynamiques multilatérales, et ce, au prix de la cohésion arabe sur la question palestinienne.

Le choix du Qatar comme deuxième escale n’est pas anodin. L’émirat, longtemps marginalisé par ses voisins du CCG, revient au centre du jeu régional. L’accord de défense signé par le secrétaire à la Défense Pete Hegseth s’inscrit dans une logique de militarisation des partenariats stratégiques, dans une région déjà saturée d’armements.

Le Pentagone consolide ainsi sa présence à Al Udeid, la plus grande base américaine du Moyen-Orient, dans une logique que l’on pourrait qualifier de « containment dynamique » de l’Iran, mais aussi de verrouillage des ressources énergétiques. En diplomatie, on appelle cela une projection de puissance par ancrage infrastructurel.

Ce voyage s’inscrit dans une mise en scène typique de la diplomatie spectacle de Trump : séquences médiatiques calibrées, annonces tonitruantes, et obsession de la « victoire » à vendre à l’électorat domestique. En ce sens, ce n’est pas tant une politique étrangère qu’un levier de politique intérieure.

Trump, dans son second mandat, n’a plus besoin de séduire l’establishment de Washington. Il gouverne par coups d’éclat, à la manière d’un entrepreneur politique pour qui chaque signature est un contrat de plus dans son portfolio présidentiel. Il s’agit d’une diplomatie de l’impact immédiat, sans vision de long terme.

En légitimant Damas sans garanties, en ignorant Gaza, et en remilitarisant ses partenariats, Trump ne pacifie pas la région : il l’embrase autrement. Ce nouveau réalignement, fondé sur des logiques d’intérêt pur, laisse peu de place à la justice, à la paix durable ou à la coopération régionale multilatérale.

Il ne faut pas se laisser abuser par l’illusion de progrès que véhiculent ces annonces spectaculaires : l’histoire récente montre que les solutions imposées sans consensus ni réparation conduisent rarement à une stabilité réelle. Le Moyen-Orient n’a pas besoin de nouveaux deals, mais d’un véritable projet politique. Ce que Trump propose, c’est l’ombre d’un empire, pas la lumière d’un ordre nouveau.

Catégories : Internationale

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