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Par Jean Wesley Pierre

En Haïti, même le drapeau ne parvient plus à masquer la faillite morale et politique d’une élite qui semble déterminée à célébrer l’apparence pendant que la réalité s’effondre. Ce 18 mai 2025, alors que la Place d’Armes du Cap-Haïtien vibrait au rythme des fanfares, des discours et des montées de couleurs, les flammes d’autres feux crépitaient non loin : celles des pneus brûlés par des citoyens en colère, étouffés par une insécurité croissante, une misère endémique, et une impunité devenue norme.

Le gouvernement de transition, dans un geste qui laisse perplexe plus d’un, a débloqué 400 millions de gourdes pour financer les festivités du drapeau, alors que policiers, soldats et médecins manquent de tout. Ce n’est pas seulement une faute de gestion ; c’est une faute morale. Comment justifier cette dépense en pleine crise sécuritaire, alors que les forces de l’ordre, seules lignes de défense face aux gangs qui terrorisent la population, sont désarmées, démotivées et abandonnées ?

Richard Senecal, dans un tweet percutant, a résumé l’hypocrisie du moment : “Ou pa ka di ou respekte drapo a pandan ou pa respekte sitwayen yo, pandan w ap vòlè peyi a, pandan w ap soutni gang, pandan w ap resevwa lòd nan men etranje. Lanmou pou drapo a se youn nan sèl lanmou ou pa ka fè kòmsi.” On ne peut dire mieux. Le drapeau ne peut pas être une couverture pour l’injustice, la corruption et la trahison nationale. L’aimer, ce n’est pas l’agiter lors des cérémonies officielles ; c’est agir pour protéger ceux qu’il représente.

L’histoire elle-même semble ironique : Fritz Alphonse Jean, qui, en 2023, dénonçait la récupération politique de la fête du drapeau et le déplacement symbolique de la cérémonie au Cap-Haïtien, est aujourd’hui président du Conseil présidentiel de transition, à cette même tribune qu’il fustigeait. En deux ans, le critique est devenu acteur, dans un retournement de posture que certains qualifient de trahison, d’autres, de “réalisme politique”. Mais comme le souligne Robenson Geffrard dans un autre tweet lucide : “Le pouvoir a cette capacité de faire tomber les masques, de révéler les individus sous leur véritable visage, d’exposer les incompétents, les êtres sans conviction ni intégrité.”

La fête du drapeau devrait être un moment de fierté nationale, un rappel de l’héroïsme de nos ancêtres, de leur combat pour la dignité et la liberté. Mais peut-on célébrer dignement sous le silence complice face aux massacres quotidiens, à l’exil forcé, à la peur généralisée ? Peut-on parler de souveraineté alors que les décisions stratégiques du pays sont prises en consultation avec des ambassades étrangères ?

Non, le drapeau ne doit pas devenir un décor de théâtre politique. Il doit rester le symbole d’un idéal à atteindre, pas d’un mensonge à entretenir. Célébrer le drapeau, oui — mais pas au prix de l’oubli, pas au prix de la vie des citoyens. Un peuple qui souffre, qui enterre ses morts, qui fuit les balles, n’a pas besoin de spectacle. Il a besoin de sécurité, de justice, de respect.

À quoi bon hisser le bicolore dans le ciel, si sur la terre, le sang coule encore ?

Catégories : AtualitésOpinion

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